Avoir un grain et du culot

Un pas après l'autre, un grain puis un autre, j'en retire une once puis un quarteron. J'accumule l'encens après chaque instant volé au petit Thare — quand celui-ci ne vient pas de lui-même me retrouver. J'avais voulu tenter ma chance, préparé le terrain, guetté le moment où son binôme le laisserait — et il l'a laissé. Tantôt pour aller pisser, tantôt pour aller chercher à grailler. Je n'avais pas voulu croire en ma chance, mais la suite devait me conforter dans ces petites victoires sans cesse répétées : j'avais voulu appâter ma cible esseulée avec un peu de l'encens — pour en consommer ou pour en refourguer. Il s'est vite lassé mais a continué de participer à ce manège, toujours tout sourire dès qu'il aperçoit son blondinet préféré dans les taillis ou au coin de rue. Si ça m'a permis jusque là de réduire autant que possible les visites de nuit, je sais que je ne peux pas y couper : aller contre le couvre-feu, c'est cette prise de risque qui a l'air de l'encourager à risquer un peu de sa propre peau.

Pour pas plus qu'un dé à coudre de cette poudre enivrante, je prends à nouveau le pari de me faire passer pour un braconnier qui aurait voulu tricher d'un lièvre ou deux sur les rations. Miroir en poche, je me glisse dehors à la faveur de la nuit.